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Page:Alain - Le Citoyen contre les pouvoirs, 1926.djvu/66

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LE CITOYEN CONTRE LES POUVOIRS

c’est toujours la perspective d’une guerre qui donne un sens à l’ambition conquérante. Le blé, le fer, le charbon, sont alors des munitions de guerre, que l’on veut tenir dans l’enceinte fortifiée. Tous ces débats sur des provinces se font en vue d’un siège à soutenir. Si une paix réelle est présupposée, il est assez clair que l’excédent du charbon étranger est à nous pour notre argent, comme notre excédent de vin et de fruits est à lui pour son argent. Mais si la menace de guerre est présupposée, le charbon est une arme, le fer est une arme, le blé est une arme. Ainsi, dans ces discussions qui veulent avoir pour fin la Paix, l’état de Paix est continuellement nié, l’état de Guerre est continuellement affirmé et rappelé. Mais si l’on voulait la paix d’abord, et par énergique préjugé, presque tous les débats entre nations seraient plus aisés à terminer, et quelques-uns même sans intérêt et sans matière. Et c’est la peur, encore ici, qui fait presque tout le danger. Qui osera ? Qui rompra le cercle ?

Celui qui a proposé cette formule connue : « la paix par le droit » a fait tenir,LA PAIX
D’ABORD.

Celui qui a proposé cette formule connue : « la paix par le droit » a fait tenir, il me semble, beaucoup d’erreurs en peu de mots. Là-dessus j’ai d’abord réfléchi longtemps, sans beaucoup de suite et sans jamais rien découvrir ; et puis, quand la guerre m’a tenu sur ce problème pendant des heures et des jours, j’ai enfin compris que les bonnes intentions ne mènent à rien tant que les idées sont mal attelées. « La paix par le droit », c’est un cri de guerre, à bien l’entendre ; c’est même le cri de la guerre.

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