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Page:Alain - Le Citoyen contre les pouvoirs, 1926.djvu/73

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LA GUERRE NAÎT DES PASSIONS


Le Pacifisme, dit l’habile hommeLA PEUR D’AVOIR PEUR
NOUS POUSSE À LA GUERRE.

Le Pacifisme, dit l’habile homme, ne convient qu’à ceux qui sont assurés de leur propre courage ; et de ceux-là vous n’en trouverez pas beaucoup. Le commun des hommes a peur d’avoir peur ; et cela est assez honorable. Je ne le voudrais point autrement. Il ne domine sur les lions et les tigres que parce qu’il domine premièrement sur sa propre peur. Le courage est donc en lui comme une tige de fer qui le tient droit. Il le sait. Les poltrons aussi le savent. Et d’ailleurs qui n’est pas poltron à un moment ou à l’autre ? C’est pourquoi si vous l’effrayez il fait d’abord front ; c’est le premier mouvement, irrésistible ; c’est aussi bien le mouvement des faibles, car l’esprit ne veut point céder ; et, toutes les fois qu’il cède, il est puni par une honte insupportable. Qu’ils cherchent donc l’exercice, le sergent instructeur, le tambour, l’ordre de marche et le terrible chant de guerre, dès qu’ils ont peur, c’est la loi de l’homme, comme c’est la loi du tambour de sonner sous les baguettes. Il faut bien faire attention à cela ; la prudence ne vient qu’en second, et sera toujours estimée. L’homme ne sera prudent, sage et enfin juste que lorsqu’il sera assuré contre sa propre peur. Ainsi la seule idée de la guerre ressuscite la guerre ; et il faut une longue paix pour assurer la paix. Prenons donc ce difficile animal comme il est ; je veux dire que nous devons nous prendre nous-mêmes comme nous sommes. Car qui résistera à l’appel du clairon ? Là-dessus je me défie de vous, mes amis, et de moi-même. Soyons rusés. »

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