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Page:Alain - Le Citoyen contre les pouvoirs, 1926.djvu/72

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LE CITOYEN CONTRE LES POUVOIRS

honte, une épreuve dans laquelle il doit se jeter, sous peine d’avoir ensuite à rougir de lui-même. Comme on voit que, dans les querelles, tous les conseils de modération importunent l’homme qui doute de son propre courage. Ce drame est intérieur ; communément le spectateur n’y comprend rien. Le héros est abondamment ravitaillé de raisons extérieures, et proprement académiques ; mais il les repousse, non sans politesse ; il pense à autre chose ; il est aux prises avec un autre genre d’esclavage, qui lui est intime. De là un appétit de mourir, qui étonne le spectateur. Car pourquoi ce garçon clairvoyant et même cynique, qui ne s’est jamais permis le moindre développement emphatique, pourquoi ce garçon qu’une blessure a privé de l’usage de son bras gauche, arrive-t-il à se retrouver aviateur et à voler sur les lignes ? Et cet autre de même, avec un genou ankylosé ? L’Opinion les honorait assez ? L’Opinion les retenait à l’arrière. Mais ils se moquaient de l’Opinion.

Un charmant capitaine, qui se moquait lui aussi de beaucoup de choses, et qui n’a jamais déclamé, me disait au retour de l’hôpital : « Je me suis fait blesser d’une sotte façon. L’ennemi bombardait. C’était l’heure de ma toilette, et j’ai coutume de faire ma toilette au dehors. J’hésite ; et aussitôt il me semble que je ne puis plus me dispenser d’y aller. Autrement je soumettais ma volonté à la puissance extérieure. Remarquez que personne ne me voyait. Si vous écrivez sur le courage, n’oubliez pas de citer cet exemple-là. » Je tiens ici ma promesse, Ne faisons point grimacer le héros.

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