Aller au contenu

Page:Alain - Le Citoyen contre les pouvoirs, 1926.djvu/87

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.






LES HYPOCRISIES DE LA GUERRE

pour moi, et pour deux ou trois bons garçons qui s’ennuient ici. N’ayant rien à conserver, vous serez brave. Vous rencontrerez bien quelque morceau d’obus là-bas ; mais, au pis-aller, si vous mourez de peur, ce sera encore une belle mort. » Nous fûmes délivrés de ses discours, et les autres jeunes apprirent à mépriser.

J’écrivis à peu près le même discours à un ami plus jeune que moi de quelques années, et qui, attendant le moment de partir, me réchauffait de lettres martiales, impatient lui-même, disait-il. Malheureusement il sentait au cœur, lui aussi, une pointe douloureuse, et craignait que le verdict du major ne fût pas favorable. Ma lettre ne put rien contre le major. Ce vigoureux garçon fut conservé pour la victoire, et la célèbre encore.

« Mais, me dit le sage, où vont ces paroles cruelles, qui blessent tant de gens. Est-ce vengeance et encore guerre ? Ou quoi ? » Simplement je manœuvre. Je crois que presque tous les hommes ont de l’honneur. Je suis assuré que c’est par l’honneur que les hommes les plus vigoureux se défendent de trop penser à la paix. Ce mal est sans remède à mes yeux ; je n’aimerais pas une jeunesse sans honneur. Mais le mal ne serait pas grand si tous les faibles, femmes, vieillards et malades, se faisaient un point d’honneur de ne pas être faible, malade ou vieux. Mais il y a déshonneur si, étant faible, malade ou vieux, on se permet de pousser à la guerre. Du moins c’est ainsi que je vois les choses. Je ne blâme point ; j’éclaire seulement un coin noir.

⸻ 83 ⸻