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À LA GUERRE L’HOMME EST OUBLIÉ.

L’artilleur voit une grande poussière, et des murs qui tombent. JOUIR DE SA
PUISSANCE.

L’artilleur voit une grande poussière, et des murs qui tombent. Ce jeu ressemble à la chasse, mais se trouve moins barbare dans les apparences. L’artilleur ne voit point le sang ni le cadavre ; il n’y pense même point. Il est occupé de ce tonnerre qu’il déchaîne tout près de lui, preuve de puissance oratoire, à laquelle répond, après une attente, un bel effet de puissance dans le champ de la lunette. Et comme le lien de l’un à l’autre ne se voit pas, l’effet de destruction semble naître du désir et de l’attente. Même le spectateur ne se lasse point alors d’espérer, de guetter, d’applaudir.

Je suppose qu’un aviateur qui laisse tomber ses torpilles pense encore bien moins à décerveler ou éventrer. Il est assez occupé de ce qu’il fait ; je ne sais pas s’il a seulement le loisir d’avoir peur. J’ai entendu et lu plus d’une phrase ridicule sur ces assassins de femmes et d’enfants. Cette injustice si commune, si peu raisonnable, si funeste, qui conduit chacun à penser qu’il lutte pour la civilisation contre les bar-

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