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Page:Alain - Les Dieux, 1934.djvu/106

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Cette naïveté plus tard est habillée ; la force virile tourne la peur en colère. Mais très certainement l’enfant a peur de la peur. Il la sent venir à l’heure fixée, au lieu fixé. Tel est le principal de ce qu’on nomme imaginer, et l’objet n’y joue presque aucun rôle ; ne rien percevoir est-ce qui laisse seul avec la peur. C’est pourquoi on peut dire qu’il n’y a de peur que des dieux. Peur de soi toujours, comme il apparaît dans le vertige, et, à l’opposé, dans les plus hauts drames. Mais assurons-nous d’abord de l’innocente enfance.

J’ai observé par hasard une peur d’enfant. On en voyait les effets, on n’en pouvait comprendre les causes, et sans doute n’y pouvait-on pas croire. Mais je sais croire. L’enfant m’avoua qu’elle avait peur de l’ombre mouvante des feuilles de platane du boulevard, projetée par une lumière de la rue. Je lui dis : “Tu sais bien que ce n’est qu’ombre de feuilles ?” Elle me dit que oui. Ce n’était rien d’ef-