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Page:Alain - Les Dieux, 1934.djvu/30

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certainement une occasion de s’instruire ; comme on trouve dans Hérodote un récit de navigateurs qui voyaient, racontaient-ils, le soleil de l’autre côté, c’est-à-dire au nord ; circonstance qui parut incroyable à beaucoup, mais qui devait faire preuve, au contraire, pour des hommes mieux instruits. Toutefois cette raison est petite, car il y aurait encore à dire sur un tel récit ; et, même avec ce soleil au nord, il pourrait bien être encore un mensonge. Non, ce qu’il y a de mauvais à ne pas croire un récit qu’on juge absurde, c’est que l’on découvre alors une immense région de faiblesse, et une crédulité sans défense, puisque l’on s’engage à croire ce qui va de soi et ne fait point difficulté. Ce n’est pas ainsi que je conçois l’esprit libre. Et j’aimerais mieux, à la manière de Montaigne, croire tout ce qu’on raconte, et jusqu’aux moindres détails, mais sous réserve toujours, et gardant défiance égale, ou, si l’on veut, confiance égale, à l’incroyable et au croyable ;