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Page:Alain - Les Dieux, 1934.djvu/73

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corps, et pour le toucher, qui est, comme on voit, le plus trompeur des sens ; et il est vrai aussi, que nos sens sont remués par le sang et les humeurs de façon à produire des commencements de fantômes, tels que bourdonnements, nappes de couleurs, mouches volantes, fourmillements, salivation, nausées, et autres effets de l’attente passionnée ; mais ces formes mouvantes, si nous y faisions attention, ne nous présenteraient jamais que la structure de notre propre corps, et encore en un mouvement de fleuve. Toutefois ce murmure du corps à lui-même est effacé par le discours qui est un objet réellement produit et réellement perçu. La conjuration par les paroles fait donc surgir premièrement les génies de la chair et du sang, mais aussitôt les disperse par la déclamation rituelle, solennelle, qui ouvre sur l’événement une porte de silence. Ces effets sont puissants au théâtre, et font comprendre que l’on ait renvoyé l’action au dehors ; car c’est l’attente qui comble l’attente.