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Page:Alain - Lettres à Henri Mondor, 1924.djvu/40

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LETTRES D’ALAIN

Quand j’ai mal au doigt, c’est moi qui ai mal. Mais traduisons cela en termes réels ; c’est le tout qui a mal ; et cela ne peut se faire que si la perturbation qui est d’abord dans le doigt a promptement son effet partout. Or si, cherchant dans une boîte, par mégarde je me pique à quelque aiguille, imaginez le saut ; je dis saut exactement, car tout le corps bondit à l’événement, et chaque partie selon sa forme et son actuelle disposition, les jambes nous jetant à fuir, mais par des tensions aussitôt contrariées, et en même temps le cœur battant à la folie, ce qui par la rencontre des muscles resserrés en boule et tirant sur leurs attaches avec les efforts du muscle creux, renvoie le sang aux viscères et aux glandes. En cette agitation séditieuse l’homme se sent d’abord lui-même et s’effraie de lui-même ; et telle est la première atteinte du mal. J’ai mal.