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Page:Alain - Lettres à Henri Mondor, 1924.djvu/61

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SIXIÈME LETTRE

Oser vouloir. Oser croire que l’on peut vouloir. Et je le dis pour n’importe quel amour, comme de la musique ou du saut en hauteur. Il faut l’espoir, et porté d’abord par le vouloir tout seul ; car tout nous détourne d’espérer. Encore bien plus dans l’amour proprement dit, où le regard sans foi parle assez pour enlever à l’autre la foi et l’espérance. On dit bien mauvaise foi ; et cette expression, en son sens profond, signifie que l’on n’a pas confiance en soi-même. En revanche le courage d’aimer fait naître aussi un échange de grâce ; et voici un des plus beaux mots, qui signifie à la fois récompense et reconnaissance, y ajoutant quelque chose de libre et d’aisé, et, au sens plein du mot, une animation du corps et un esprit dans les moindres gestes. Et, au contraire, la peur est laide en tous pays. C’est pourquoi la beauté sans la grâce n’appartient qu’au marbre ; mais le vivant l’emporte