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Page:Alain - Mars ou la Guerre jugée, 1921.djvu/69

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CHAPITRE XXVIII

DE LA FRIVOLITÉ

Nous faisons grand bruit sur l’incompétence, la paresse ou la corruption des pouvoirs, sur le problème des salaires, sur l’avenir du capital, sur la protection et sur le libre échange. Or tout homme de bon sens reconnaîtra que les maux qui résultent d’un médiocre système politique, tel d’ailleurs qu’on l’a toujours vu, sont comme nuls en comparaison des maux certains de tout genre que la guerre nous apporte, même terminée par la victoire. Quelle peste ferait en si peu de temps un si grand nombre de morts, et si bien choisis parmi les plus vigoureux et les meilleurs ? Quel ministère négligent nous coûtera la centième partie des dépenses de guerre ? Quel protectionnisme fermera les mers comme la guerre maritime et les transports de troupes l’ont fait ? Mais c’est une disposition commune que de crier contre les petits maux et de supporter les grands maux en silence et stupeur. Et, chose digne de remarque, la réflexion sur les maux, par souvenir, est soumise à la même loi ; car, dès que l’on est délivré des grands maux, on s’applique à les oublier, ou, pour mieux dire peut-être, on n’arrive pas à les faire revivre. Bref l’imagination est sous la dépendance des causes actuelles ; et le proverbe dit bien : « Le danger passé, adieu le Saint. » Il faut donc se défendre de l’oubli, par raison, et rappeler à tout propos cet axiome de politique, c’est que la Paix est le bien, et la Guerre le mal ; et gouverner d’après cela, puisque chacun de nous gouverne un peu.

Il est assez clair que les Pouvoirs se détournent de cette idée. Leur représentant le plus éminent a bien voulu, dès le dernier coup de canon, nous faire savoir que la Paix tant de fois promise aux combattants, la Paix par désarmement, n’apparaissait pas encore comme possible. Et j’ai assez expliqué que les Pouvoirs, laissés à eux-mêmes, iront toujours à une politique de Paix armée, disons à une politique de Guerre.