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Page:Alain - Mars ou la Guerre jugée, 1921.djvu/70

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Mais ils nous l’ont dit. Ainsi il n’y a point de doute là-dessus. Si la masse des citoyens n’exerce pas une pression continue, et fermement orientée, contre toute préparation à la guerre et contre l’idée même de la Guerre, la guerre s’organisera d’elle-même.

Si je joins aux pouvoirs, comme il est naturel, l’élite ploutocratique et l’élite académicienne, sans oublier les chefs militaires, il reste encore une masse de bourgeoisie dont je ne sais que dire, ayant observé assez depuis la paix ce contentement voulu, cette négation obstinée, ce visage fermé à toute proposition humaine. Toutes causes mises au clair, parmi lesquelles il faut compter la crainte à l’égard d’un mouvement de colère, toujours imminent, je vois dans cette immobilité étudiée un air de haute convenance, comme celui que l’on remarque aux enterrements. Le Savoir-vivre impose un terme aux Oraisons Funèbres. Si je recommence le sermon, ils reprennent la pose ; mais l’esprit est ailleurs, et je le vois. Ils attendent que ce soit fini. J’appelle Frivolité cette redoutable méthode, décidée et inflexible, si bien armée contre l’Insistance. C’est la Frivolité qui joue aux cartes. « Au diable vos discours sérieux, puisqu’ils ne me sauveront pas de mourir. »

J’en reviens donc au même point. Il y a des maux inévitables, contre lesquels chacun se fait une résignation à sa mesure ; et cela est naturel. Il s’agit de savoir si la guerre sera considérée comme un de ces maux-là. Donc l’idée la plus efficace contre la guerre, c’est l’idée même que la guerre serait impossible si la masse des citoyens étaient bien assurés qu’il dépend d’eux de la rendre impossible. Ainsi la Frivolité est proprement assassine ; et c’est cette amère vérité que la Frivolité efface d’abord, comme une femme qui se poudre.