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Page:Alain - Mars ou la Guerre jugée, 1921.djvu/98

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troupe à un capitaine que du serf au seigneur autrefois. J’ai vu des hommes garnir de planches l’intérieur d’un abri crayeux, parce que le commandant s’était blanchi les coudes ; ces hommes dormaient par terre et sans aucun abri. Je signale ces petites choses parce que tous ceux qui écrivent sur la guerre sont des officiers qui ont profité de ces travaux d’esclaves, sans seulement y faire attention.

Ici apparaissent les effets d’un état violent, et qui aurait dû être transitoire. La Révolution nie l’organisation ancienne, et, en ce périlleux passage, appelle tous les amis de la Liberté ; l’esclavage, étant volontaire, est entier, sans réserves. Mais l’art militaire reprend cette poussière d’hommes, et l’organise selon la tradition de Frédéric ; car le métier a ses règles, et qui les néglige est battu. De là un noir esclavage, qui commence avec le conseil de révision. Pendant que j’étais serf, sans avoir même le droit de chanter, car cela importunait mon maître, le recteur de Lille occupée avait une auto à ses ordres, et gardait le droit de conseil et de remontrance. Il se retrouvait, lui, dans l’état du Tiers au temps des rois absolus. Théoriquement sans aucun droit, mais résistant par sa fonction, par son savoir, par les intérêts qu’il représentait. Nous autres, au contraire, théoriquement libres, et égaux contre égaux ; en fait, esclaves, comme des hommes achetés et payés. Preuve sensible de cette loi humaine d’après laquelle la liberté réelle suppose une organisation constamment dirigée contre le pouvoir ; et je n’en vois qu’une faible esquisse dans les corporations ouvrières, unique espoir des citoyens.