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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/104

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XXIX

VANITÉ DE L’ENVIE

L’envie est la plus vaine des passions. Elle serait arrêtée tout net par la conscience que l’on n’a point dépensé d’efforts véritables pour avoir ce qui fait envie. C’est une disposition d’enfant de jeter son désir sur ce qui se montre. On joue à être ministre, général, préfet, évêque. On joue à être patron du canot de sauvetage ou mécanicien du train rapide. Le propre de ces jeux, c’est que la peine d’apprendre et de parvenir en est effacée. On jouit d’une puissance imaginaire ; on jouit d’une opinion qu’on suppose dans les autres. Jamais l’on ne pense aux immenses travaux que le moindre métier suppose. On croit, par exemple, que l’on est sauveteur par la générosité seulement, alors qu’il y faut la force, le savoir, et encore une dureté de cuir, choses qui veulent des années de sévère apprentissage. Or je crois que l’envie est proprement enfantine. Les enfants ne l’ont point ; c’est qu’ils se jettent d’un désir à l’autre ; mais les hommes qui l’ont sont enfants en ce que, sachant mieux le prix de ce qu’ils n’ont pas, ils ne se représentent pas mieux les moyens par lesquels on le conquiert.

S’ils pensaient aux moyens, ils seraient depuis longtemps au travail ; ils avanceraient ; ils jugeraient