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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/120

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XXXIV

POUR L’AMITIÉ

L’amitié est une heureuse et libre promesse à soi, qui change une sympathie naturelle en une concorde inaltérable, d’avance au-dessus des passions, des intérêts, des rivalités et des hasards. Telle est la définition que je propose d’un sentiment tant de fois célébré et tant de fois trahi. Chacun la refusera, je le sais : mais, sur cette réflexion que la refuser c’est exactement refuser l’amitié, chacun se rangera à mon opinion ; cela je le sais aussi. Je convoque donc les hommes en un parlement imaginaire ; j’entends les discussions et objections ; je sens en tous un intérêt vif ; il me semble que je vois les yeux étincelants dirigés tous sur le même foyer. L’humanité se réveille et se reconnaît ; en moi-même aussi bien. Qui n’a pas manqué à l’amitié ? On ne fait que cela. Ce sentiment vacille comme une maigre flamme ; souvent il se met en veilleuse ; c’est qu’il y a des manques et comme des trous dans la sympathie naturelle. C’est bien pour cela que je dis promesse à soi. Qui n’a regretté une sorte d’absence à l’amitié ? Mais qui n’a refait aussi la belle promesse, contre tant d’impérieuses causes ? Nos sentiments ont besoin d’être portés à bras ; surtout celui-là. Il y faut une résolution obstinée. Autrement ce serait

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