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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/125

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FRATERNITÉ DIFFICILE

voile au vent, et je me moque des moqueurs. L’évêque n’attend pas que le forçat se montre digne de l’homme. Au contraire il fait le premier pas, et encore le second ; il en promet tellement d’autres que le forçat renonce à son rôle, à son rôle qu’il sait très bien. Il n’y a plus de comédies, mais deux hommes.

À vrai dire nous sommes dans une situation difficile à l’égard des sentiments de société. La période de la guerre et des prochaines suites nous a frappés par d’horribles paradoxes. L’homme ne s’est plus reconnu ; il a fallu prendre de la hauteur pour juger cet humble moraliste, le combattant. Il se trouvait tellement loin des sentiments de son enfance qu’il ne pouvait les reprendre. Et c’est à cette sorte de salut intellectuel que contribuent les hommes démesurés, comme Bienvenu, Jean Valjean et Hugo lui-même.

Quelquefois on entend dire que ces sentiments sublimes n’ont plus lieu dans ce siècle ferrugineux, tout enivré de puissance. Mais qui donc dit cela ? Qui donc enseigne cela ? C’est quelque colonel encore qui s’est glissé parmi les hommes. Son affaire c’est de recruter. Mais vous n’allez pas dire que c’est ainsi qu’on élève l’homme. Cela, c’est le mensonge que nous avons trop écouté. Il n’y a, nous dit-on, que les méchants qui comptent, parce qu’il n’y a qu’eux qui soient craints. Craints on les respecte, et bientôt on les aime. Nous retrouvons ici la vertu du chien. Eh bien je dis que nous devons nous séparer du chien et revenir à l’homme. Car ce n’est point la peur, ni la sûreté, ni l’arme, qui feront la paix ; c’est la frater-

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