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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/124

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MINERVE OU DE LA SAGESSE

l’injuste orgueil. Il faut regarder humainement l’homme. Alors, sous ce regard fraternel, les différences tombent presque à néant. Seulement il faut réveiller ce sentiment généreux. Je veux faire honte à l’homme qui se vante d’aimer son chien parce que c’est son chien. C’est ainsi que le colonel aime ses hommes ; et ils l’ont bientôt compris. Je défie le colonel d’en être heureux : il se mêle à cette fausse générosité la résolution de tuer sans hésitation, dès que ce sera nécessaire. On loue Wallenstein, Turenne, Condé ; on ne peut faire que leurs moyens soient humains. Misanthropie totale, alors, et qui est de métier ; c’est pourquoi la colère militaire aime à se grossir. L’oreille humaine entend très bien ce son-là, qui signifie guerre ici, guerre partout, guerre toujours. Comment sortir de là ? Assurément ce n’est point par les vertus du chef qu’on en sortira, mais plutôt par les vertus de l’esclave. L’esclave est souvent fraternel à l’esclave. Le chef n’est jamais fraternel au chef.

L’Évangile a dit là-dessus ce qui importe. Je prends l’Évangile comme un fait humain capital. « Si tu n’aimes que ceux qui t’aiment, ce n’est pas beaucoup. » Nous avons, pour nous remettre droit sur nos pieds d’hommes, l’admirable histoire de Jean Valjean et de l’évêque. Il faut s’y retremper. Notez que l’esprit de force et d’injustice, qui se sent dans la moindre parole, ne cesse d’attaquer Hugo par des moqueries sans mesure, et empoisonnées. C’est le dernier effort de la misanthropie, et très bien dirigé. Mais je reprends mon livre, je donne ma

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