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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/127

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XXXVI

LE VRAI DE L’HOMME

Spinoza dit : « Dans nos entretiens gardons-nous de dépeindre les vices des hommes et leur esclavage ; ou que ce soit fait très sobrement. Largement au contraire sur la vertu, c’est-à-dire sur la puissance ; et le plus possible se mouvoir, non par la crainte et l’aversion, mais par la joie ». Voilà un beau texte pour prêcher. Il est facile d’abaisser, mais il est sain d’admirer. La misanthropie est une maladie ; mais de ce jugement, qui a lui-même une teinte misanthropique, je me relève en prenant l’humeur dénigrante comme une erreur énorme. Je n’ai pas compris d’abord le trait de génie de Molière, nommant misanthrope celui qui ne sait pas aimer selon la joie. Célimène tient ferme en son être ; elle vit, elle surmonte, elle combat à son poste ; elle vaut mieux qu’on ne croit ; elle ne le dit pas ; elle ne saurait pas le dire ; mais elle attend qu’on le devine. Alceste n’est pas celui qui la confirmera dans son être à elle ; il ne voit que ce qu’elle n’a pas. Aimer c’est soutenir, deviner, porter le meilleur de ce qu’on aime. Et c’est la joie qui est le signe de ce sentiment héroïque. Alceste est mal parti.

Un Alceste bouillant m’aborde l’autre jour en me disant, comme bienvenue : « Que d’être vils en ce

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