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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/128

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MINERVE OU DE LA SAGESSE

monde ! » À quoi je répondis : « Oui ; mais que de braves gens ! » Il en convint. Or, ce sont les mêmes. À l’axiome trop connu de Hobbes : « l’homme est un loup pour l’homme », Spinoza répond que l’homme est un dieu pour l’homme. Mais il est vrai que le dieu se cache dans des nuages bien noirs. « Qu’il est difficile, a écrit La Bruyère, qu’il est difficile d’être content de quelqu’un ! » Si vous voulez là-dessus vous donner un exercice profitable, je vous propose deux livres, qui sont très ennuyeux si l’on veut, et qui sont très nourrissants si on leur ouvre crédit. L’un est La Houvelle Héloïse : l’autre est Wilhelm Meister. Si vous faites serment de les aimer, vous trouverez amplement de quoi les aimer. Sinon, non. Cette disposition à payer d’abord de bonne volonté, à payer avant de recevoir, si vous l’avez une fois fortifiée, elle vous aidera en toutes vos lectures. Et si vous arrivez à lire les hommes comme les livres, cela vaudra une cure à Vittel ou à Carlsbad ; car la malice est beaucoup dans nos maladies.

Cela, chacun le sent et l’éprouve. Mais où est la racine de l’idée ? En ceci, que l’être positif de chacun est beau et bon, et que ses défauts ne sont point de lui. Idée que Spinoza a connue en Dieu ; mais, même sans ce grand détour, on peut comprendre qu’un être ne vit pas par ce qui lui manque ; et le trésor de sa vie, œuvre précieuse et unique, c’est à vous de le trouver. S’il se met en colère, ce n’est pas de lui ; c’est que ce monde l’attaque ; c’est que quelque mouche le pique, comme on dit si bien. Et, comme il ne manque pas de mouches, il ne manque pas non

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