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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/135

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LA MORALE CONTRE LES FAITS

cours, il est digne d’un homme de ne pas prendre tout avantage, et de garder pour soi un mot perçant. L’homme d’esprit et l’athlète sont doux par leur force, et contrôlent le premier mouvement.

On rit de celui qui enseigne qu’il faut tendre l’autre joue. Toutefois, cette idée mystique a la vie dure. On la voit toujours revenir. Je crois que c’est François d’Assise qui courait après le voleur, disant : « Vous ne m’avez pas tout pris ». On dira que c’est un saint, qui croyait à des choses qui ne sont pas. C’est justement, à mes yeux, parce qu’il croyait à des choses qui ne sont pas, que son témoignage a une valeur. Car enfin, les hommes ont inventé la religion de leur propre fonds. Et le commun des hommes, qui s’arrange si bravement du ciel et de l’enfer, n’aurait pas nommé saints, mais plutôt fous, les inspirés et illuminés, s’il n’y avait reconnu une étincelle de l’homme tel qu’il se voudrait. Et, au reste, les légendes sont fausses quant aux faits : il reste à savoir pourquoi on les invente telles et non autrement.

Plus près de nous, encore légendaire, et dans le fait très lue, est l’histoire de l’évêque Bienvenu, qui, rencontrant un forçat très suspect, le traite premièrement comme on doit traiter un homme, c’est-à-dire selon le respect et l’amitié. Et advienne que pourra. Cette sagesse n’est point tant au-dessus de nous ; elle brille parmi nous, ici et là, comme un éclair. Il y a des médecins d’arriérés qui se font une joie de tirer quelque marque d’affection ou seulement d’attention, de faces à peines humaines.

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