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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/134

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XXXVIII

LA MORALE CONTRE LES FAITS

La défense est chose excusable, non point chose louable. Il peut se trouver des moments où il est difficile de traiter le semblable comme un semblable, c’est-à-dire selon le respect et l’amitié. Un brigand sort de l’ombre et menace, ou simplement quelque malheureux, qui me prend pour ennemi, commence à se venger sur moi sans autre avertissement. Alors, l’instinct m’avertit assez que je dois suspendre les droits de l’homme et ajourner la reconnaissance. Je me mets au niveau de l’autre, et je fais seulement attention à frapper plus vite et plus fort que lui. Toutefois, si je le tue, la police elle-même veut qu’on examine si je n’ai point déclaré la guerre précipitamment, et sans avoir assez mesuré le danger. Un impatient, dans une foule, soufflette un homme qui lui marchait sur les pieds : « Combien vous regretterez cette action, dit l’homme, quand vous saurez que je suis aveugle ! » Ce mot est reproduit dans les petits traités de morale, et il y est bien à sa place, car il peut éveiller la honte, et il porte loin par une sorte de symbolisme ; car toute violence est aveugle. Ce n’est pas ua grand sujet d’être fier que d’être toujours prêt à la riposte ; et, même dans les dis-

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