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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/137

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XXXIX

LA CONSCIENCE

L’homme le plus simple admire le courage ; mais il veut savoir si c’est bien courage et non point aveugle fureur, ivresse ou témérité folle. Il voudrait être caché dans la conscience même de l’homme courageux afin de savoir le vrai de ce drame entre la volonté et la peur. Le même homme admire la prudence ; mais il est ici encore plus défiant à faire sonner l’or de cette vertu dont le signe est commun et aisément copié. Il ne veut point d’une prudence qui serait lâcheté. Il voudrait savoir que cette prudence est encore une victoire sur quelque passion ; il voudrait y retrouver la force d’âme ; car vertu est puissance et force nullement faiblesse et esclavage. Mais comment savoir ? Le dehors est trompeur. Il se peut bien qu’un cheval affolé de peur bouscule les ennemis ; mille chevaux encore mieux. Cet homme est allé mourir dans la tranchée ennemie ; mais je vous dis qu’il s’est égaré et qu’il fuyait, ou bien qu’il courait là-bas pour se rendre. Voilà que vous balancez entre le bonheur d’admirer et la crainte d’être dupe.

Homme généreux. Il a donné mille francs pour les aveugles de guerre. Mais qu’est-ce que mille francs pour lui ? Et pouvait-il faire autrement ? Il

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