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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/14

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II

L’ESPRIT LIBRE ET L’ESPRIT JUGE

Savoir que la terre tourne, cela n’avance pas beaucoup, ni pour le bonheur, ni pour la sagesse, ni pour la justice. D’où un homme subtil et assez avancé dans les sciences, voulait conclure que l’on avait fait beaucoup de bruit pour cette aventure de Galilée, beaucoup de bruit pour peu de chose. Je veux suivre cette idée. Il est clair que Socrate se passait très bien de savoir si la terre tourne. Le plus savant homme de notre temps est privé de myriades et encore de myriades de connaissances dont il peut être curieux. Quelles sont les montagnes et les cratères sur l’autre côté de la lune ; s’il y a des habitants dans Mars ; combien de planètes tournent autour de telle étoile ; savoir si on pense sur ces planètes, si on y fait la guerre, si la géométrie y est la même que chez nous. On peut ignorer ces choses-là. Bien mieux, un juriste ignore la chimie. Vous feriez rire si vous demandiez qu’il ait pesé l’azote et le chlore avant de réfléchir sur les successions ou sur les murs mitoyens. Le chimiste lui-même ne sait pas toute la physique. Il y a sur la planète trois ou quatre mathématiciens qui ont fait, si l’on peut dire, les plus difficiles ascensions, et qui sont seuls à contempler certains paysages