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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/13

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PREMIER ÉTAT DE TOUTE CONNAISSANCE

main mal placée ? Qu’il n’y ait presque point de vérité en ces perceptions paresseuses cela ne doit pas m’étonner. L’important est de ne point se prendre pour une victime de la nature. Je dois savoir que ma connaissance naturelle est formée selon l’insouciance, et non pas du tout en vue d’éviter l’erreur et de sauver mon propre esprit. Aussi ne vais-je point supposer à la manière d’Ajax que c’est quelque dieu qui m’envoie de fantastiques opinions. »

Pour ma part c’est dans la poussière de l’Iliade que j’ai compris les Olympiens. Car, dans cette masse de mouvements et de colères, on ne peut suivre les aventures de tel ou tel. Non, mais on le voit sortir de la masse, puissant puisqu’il n’est pas tué. Si c’est un ennemi on se précipite contre lui. Or, bien loin de fuir, il se fond dans la tempête des apparences. Quoi de plus simple ? Évidemment c’est un Immortel qui l’a revêtu d’un brouillard afin de le dérober à ma colère, ou bien l’Olympien a pris la forme de mon ennemi, et m’échappe bien aisément. Or le combat est le moment de l’attention. Si le héros réfléchissait, me disais-je, il se reconnaîtrait comme voué à l’erreur, et inventeur de dieux. Il saurait que l’Iliade a été inventée par les guerriers eux-mêmes, et il honorerait mieux de petites conquêtes sur l’erreur, et quelques vérités incontestables comme sont quelquefois les proverbes. Il saurait que la sagesse est rare et difficile ; il comprendrait ses propres passions et celles de son voisin. L’erreur n’a rien d’étrange ; c’est le premier état de toute connaissance.