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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/140

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XL

L’APÔTRE PIERRE

Le bien est difficile à suivre, facile à connaître. Quand l’apôtre Pierre eut renié son maître jusqu’à trois fois, il n’eut pas à chercher si son maître avait raison ou tort, ou si lui-même s’était laissé duper par quelque belle apparence ; mais plutôt il se sentit glisser ; il connut sa faiblesse. Je le suppose au paradis, et couronné de toutes les couronnes, et décoré de toutes les plaques ; il rougit encore de cette glissade, lorsqu’il y pense. Demandez à l’alpiniste s’il ne fait pas bien la différence entre grimper et tomber ; j’entends ces chutes imperceptibles, qui viennent de ce que le pied s’est mal assuré, et qui lui rappellent, par un sentiment vif et désagréable, que la pesanteur le guette toujours. De même le parti animal nous tire toujours dans les voies du lièvre, du chien ou du cheval. L’apôtre Pierre, en la circonstance, s’est enfui comme un lièvre ou comme un rat ; il a vu un trou, il s’y est jeté.

Il n’y a point de règles. Je ne dirai pas qu’il est honteux de mentir. Supposons ce Pierre plein de résolution, ayant disposé ses hommes, et lui-même au guet, en vue de sauver son maître et son ami. On le soupçonne, on l’interroge ; alors il dit fermement et tout calme : « Je ne connais point cet homme-là ».

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