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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/146

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XLII

L’INFAILLIBLE CONSCIENCE

Rousseau disait que la conscience nous instruit infailliblement par la honte, et par le souvenir de la honte. Sur quoi les gens du métier, professeurs de morale ou théoriciens de justice, disent que la conscience a besoin d’être éclairée, et que, par exemple, il n’est pas facile de savoir si, en payant un certain prix ou un certain salaire, on est injuste ou non. Seulement c’est prendre les choses par le côté de police. Rousseau appartient à cette espèce d’hommes sauvages qui considèrent la vertu en elle-même, et non point du tout ses effets extérieurs. Vous pouvez vous replier par ordre sans passer du tout pour un lâche ; mais si la peur vous fait sentir un peu trop sa pointe dans les reins pendant cette opération, c’est vous seul qui le savez. C’est vous qui goûtez et dosez votre propre esclavage, sans la moindre chance d’erreur. C’est vous qui savez ce que vous vouliez faire, comment vous le vouliez faire, et jusqu’à quel point la peur vous a gêné, paralysé ou détourné. Les plus grands éloges n’effaceront point cette empreinte de la peur, que vous sentez si bien.

La fureur, autre désordre, et animal aussi, est quelquefois dissimulée. Les autres vous voient

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