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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/147

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L’INFAILLIBLE CONSCIENCE

calme et poli ; mais vous, si vous n’arrivez pas à apaiser cette rage contenue, si vous en perdez une heure de sommeil, si vous êtes devant vos propres pensées comme un roi devant l’émeute, alors vous le savez bien. Même par souvenir cet état est humiliant à considérer. On peut en prendre son parti, et même il le faut. Toutefois quand vous vous serez pardonné à vous-même, comme il est raisonnable, vous n’aurez toujours pas effacé la honte petite ou grande, honte secrète, mais cuisante, mais mordante. Lisez là-dessus les Confessions ; il n’y a guère de livre plus lu ; preuve que tout homme s’y reconnaît.

Le tumulte des sens est une sédition bien redoutable, contre laquelle nous ne pouvons pas grand’chose. Or quand ce tumulte ne s’oppose à rien de ce que nous voulons, passe encore ; car il faut bien accepter la condition animale. Mais dès que vous êtes détourné de ce que vous aviez résolu, vous vous sentez esclave ; la honte reste, qui engendre dans la suite prudence et précaution. Or les mêmes effets se remarquent si vous êtes intérieurement injuste, c’est-à-dire si la fureur de prendre, de garder, d’amasser, vous détourne de ce que vous aviez décidé. Il est laid de regretter l’argent qu’on doit, même si on le paie. Si on ne peut le payer, par l’effet de cet accès d’avarice, ou si l’on ne peut se résigner à exécuter un contrat, par cet invincible amour de la propriété ou, pour mieux dire, de la possession, la honte marque désormais cette action ou ce geste. Et ce genre d’injustice ne dépend point

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