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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/150

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MINERVE OU DE LA SAGESSE

pas que les autres soient justes. Nous ne sommes chargés que de notre part de justice. Le semblable ne doit figurer en nos contrats que tel qu’il doit être, tel que nous voulons qu’il soit. Quel il est, ce n’est pas notre affaire. La justice n’attend pas un état meilleur, elle le pose. Elle donne et ne demande pas. Elle espère, ce n’est pas la même chose ; et même elle veut, mais sans exiger jamais, puisque c’est le libre qu’elle veut. Tel est l’esprit égalitaire. Agir comme si les autres étaient libres et raisonnables, c’est le seul moyen connu de faire qu’ils le soient. Ici, le génie de Hugo a vu clair, et l’évêque Bienvenu, dans Les Misérables, est notre modèle. C’est lui qui commence. Et il n’est point juste d’attendre que les autres commencent. Contre le mensonge, la bonne foi ; contre le vol, la confiance. Ce n’est pas peu, et c’est même charité dans le sens plein, que d’enlever aux autres cette excuse qu’ils savent si bien tirer de notre prudence. L’écolier est menteur par une sorte de contrat, dès qu’il est entendu qu’on ne croit jamais ce qu’il dit. Essayez donc ici de la bonne foi, si bien nommée, celle qui croit que l’autre est bon. Et si on ne le peut toujours, n’appelez point du beau nom de justice ce qui n’est que défense et précaution.

Tout n’est pas dit. Il y aurait une sorte d’égoïsme à se sauver seul. Ce refus est le commencement de la sévérité. Mais ici un autre juge se montre, que l’on peut appeler le confesseur. Ce juge-là ne poursuit pas l’injuste ; c’est l’injuste qui vient à lui ; et non pas pour dénoncer un autre injuste ; on ne l’écoute-

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