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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/149

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XLIII

POLICE ET MORALE

Il y a deux genres de sévérité et deux genres de punition. Il y a police et morale. Le juge de police regarde aux effets ; il décide qu’un dommage sera réparé. Il redresse l’injuste, mais par le dehors. Ce n’est point l’injuste qui vient le trouver, mais c’est plutôt le juste, ou celui qui se croit tel, qui demande que l’injuste soit poursuivi. Se plaindre des autres, ce n’est point vertu. Ce concert des jugements, qui toujours vont à régler le voisin, c’est ce qui fait les mœurs. Police et mœurs sont du même niveau. L’alliance de ces deux mots permet une sorte de mesure. Mœurs de police et police des mœurs, ces composés tombent d’eux-mêmes au plus bas. Mais pourquoi ? C’est que chacun se console et même s’excuse par la faute du voisin, si aisément remarquée. Ces basses pensées sont l’âme de la guerre, qui procède toujours de ceci que l’on attend que l’autre soit juste.

La sévère morale se lave premièrement de cette étrange société, où c’est le pire qui donne la règle, en se rappelant à elle-même qu’elle n’a point pour fin de mettre l’homme en état de juger les autres. Chacun entend bien ce son, quoiqu’il soit peu agréable à entendre. Chacun sait bien que le juste n’attend

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