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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/155

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PIÈGES DE LA MORALE

pour titres : L’Interdiction et Madame Firmiani. Vous direz que les problèmes ne se posent ainsi que dans les romans. Je ne sais. La morale nous guette peut-être au prochain coin de rue. Trois hommes contre un, un brutal contre un enfant, une femme renversée et à demi étranglée qui appelle, vous voilà sommé d’être un héros. Ou bien entre en scène un fou armé, qu’il faut maîtriser tout de suite ; vous êtes seul peut-être à pouvoir l’essayer. Et, même si vous n’êtes pas seul, ne devez-vous point aider les autres ? Au reste, la guerre exige bien plus. Et c’est une condition dure quelquefois de ne pouvoir se permettre de céder à la peur, comme font les animaux. Mais il faut être bien fort, et bien sûr de soi, pour ne point courir à l’épreuve. Et il faut avoir une provision de petites vertus si l’on veut n’être point dupe des grandes.

Cette femme qui jeta son gant au milieu des lions, afin d’affirmer son pouvoir, jouait tranquillement sur l’honneur de son chevalier. Je suppose qu’il alla chercher le gant, et que depuis il méprisa parfaitement la dame. Tel est à peu près le jugement d’un fantassin qui revient de la guerre, mais il a commencé par y aller. Évidemment, chacun devrait chercher quelque précaution de sagesse contre cette vertu-là, par un froid mépris, peut-être, des exploiteurs d’héroïsme ; mais les héros sont jeunes et prompts. Que du moins les vétérans n’oublient pas de mépriser.

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