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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/156

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XLV

FAIRE LE SOURD

Quelqu’un, ces jours-ci, me demandait un remède contre l’humiliation. Celui qui me faisait cette demande ne manque pas de jugement ; aussi savait-il bien que le remède ici n’est pas de jugement. C’est la première chose à savoir quand il s’agit de passions qui sont à peine des passions. Il est bon pourtant de remarquer que les critiques d’un homme que nous estimons très haut ne nous humilient point mais plutôt nous mettent en ordre de marche et de bataille. Et ne cherchons point dans les nuages pourquoi la vraie estime fait ce miracle ; le lien est en quelque sorte substantiel ; nous n’estimons, au vrai, que ceux qui font ce miracle ; ils le font parce qu’ils devinent nos puissances mieux que nous-mêmes. Cela ne fait jamais de doute ; nul ne s’y trompe ; chacun recherche son maître et son ami. Il est bon de rappeler en son esprit ces précieux jugements où l’humiliation ne se trouve point.

Mais où se trouve-t-elle ? Est-on humilié d’être traité sans respect par quelque sot que l’on juge sot ? Il se pourrait. Nous ne sommes pas ainsi faits que nous puissions mépriser la forme humaine. Nous prêtons toujours trop d’esprit aux bêtes, dès qu’elles nous ressemblent un peu. À bien plus forte

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