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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/160

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MINERVE OU DE LA SAGESSE

nes ont souvent de l’aigreur. Comment espérer, si la liberté doit venir à son heure et par d’immenses causes, et le tyran de même ? Ainsi l’optimisme est toujours battu, et de plus ridicule, comme dans Pangloss. Mais pourquoi ? C’est que Pangloss espère un bien qui tombera comme une tuile.

L’optimisme n’est point de fait ; il est de volonté. Mais alors contre le vrai ? Voilà le plus dangereux piège de pensée. Car faut-il croire contre les preuves ? Comment croire, et quand ? Certainement en toute entreprise il y a à dresser un bilan, et à se donner un état des choses telles qu’elles sont. Pourquoi ? C’est qu’il s’agit de faits accomplis, que l’optimisme ne changera pas. Ce qu’il y a de vrai et même de viril dans le fatalisme, c’est que rien ne peut faire que ce qui a été fait n’ait pas été fait ; rien ne le peut, pas même Dieu, comme Descartes l’a remarqué. Et telle est la raison pour laquelle toute méditation sur ce qui aurait pu être est faible ; car la vérité des faits accomplis pèse bien plus que nos regrets. Et cette pensée même est optimiste si on la prend bien, car elle nous délivre des repentirs tournés vers le passé, qui ne sont que des remords. « Que diable allait-il faire dans cette galère ? » C’est le mot ridicule. Il s’agit de savoir s’il y est ; et s’il y est, il faut partir de là. L’enquête doit donc se faire sans préférence, sans préjugé, sans illusion même pieuse. Accuser ce qui est et excuser ce qui est, c’est la même folie, et c’est temps perdu. Ici la science nous redresse, et très bien.

Maintenant glisser à ce qui va arriver, et le juger

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