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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/159

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XLVI

OPTIMISME

Penser est pénible : à peine s’y est-on mis qu’on s’en sauve ; cela se sent quelquefois dans une même phrase. Et pourquoi ? C’est que nous sommes pris entre la vérité et la vertu. Mon ami, je ne dois point le penser autre qu’il n’est, mais je ne dois pas non plus le penser vil sans des preuves redoublées ; et ces preuves mêmes je les refuserai, si l’amitié s’élève jusqu’à la charité. Comment donc l’amour du vrai s’accordera-t-il à l’amour des personnes ? Et faut-il que la droite pensée soit une misanthropie aigre ? Il faut du temps pour débrouiller ces choses. Et pour refaire ce débrouillement dans le moment même, il faut du courage. On se jette souvent à hue et à dia, et l’on verse tout à fait, car l’humeur de l’homme est métaphysique. Je veux fixer ici quelques pensées de précaution.

L’optimisme et le pessimisme ne combattent point avec les mêmes armes. Le pessimisme fait avancer les faits accomplis ; cette armée de témoignages s’accroît avec le temps. Et dans le fond tout est mal, dès que l’on forme l’idée que ce qui est arrivé, bon ou mauvais, ne pouvait pas être autrement. Or, dès que l’on explique, on arrive là. D’où il vient que les plus savants dans les choses humai-

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