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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/173

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VERTU DU MATÉRIALISME

savoir que la fièvre n’est que fièvre, et que la passion n’est aussi que fièvre. Savoir est le maître mot. Et savoir ce n’est pas s’abandonner au foie et à la rate, bien au contraire ; c’est gouverner ses pensées et d’abord croire qu’on peut les gouverner ; ce qui est croire aussi qu’on peut gouverner ses passions et finalement, ce qui est moins difficile, que l’on peut gouverner l’événement. C’est la morale du vrai pilote. En sorte que le spiritualiste pieux affirme que l’idée mène le monde, et aussitôt croit tout ce qui lui vient à l’esprit, et ainsi est mené comme un enfant par le soleil, le vent et la pluie ; au lieu que le matérialiste est le seul qui use comme il faut de son esprit, qui connaisse les pièges du monde où les esprits frivoles vont se pendre, et qui finalement avance le règne de l’esprit. Comme ce tournant est mal pris, à ce que je vois, par plus d’un penseur généreux, j’y mets un écriteau afin qu’il essaie son frein, le beau frein de l’esprit sur les pensées, le doute. Dors content, Voltaire, l’incrédulité n’est pas morte.

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