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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/175

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PROVERBES

contre les glissements qui nous sont naturels.

Pierre qui roule…, cela n’est pas vrai. Les rassis n’ont pas besoin de ce conseil. Mais il y a dans beaucoup, et surtout dans les jeunes, un besoin de changer et une illusion qui s’y rapporte. Tout nouveau tout beau, cela n’est point non plus une vérité des choses ; car il ne manque pas de nouveautés qui ne méritent point cette ironique remarque. Mais il est vrai que l’homme est sujet à se tromper par ce que Descartes nomme l’admiration, qui nous fait béants et sans critique devant ce que nous n’avons encore jamais vu. En avril… ; ce conseil, qui est souvent bon aussi en mai, rappelle seulement qu’au premier soleil et au seul nom de printemps, nous croyons trop vite qu’il faut mettre le manteau d’hiver dans le poivre. A beau mentir… ; il n’est pas vrai que tous les voyageurs mentent ; mais il est profondément vrai que nous croyons aisément ce qui n’est pas à portée de notre expérience. Tout ce qui reluit… ; il n’est pas vrai qu’on puisse vivre selon une défiance toujours armée ; mais aussi cet excès est moins à craindre que l’opposé, auquel nous sommes tous portés par la hâte et le feu du désir. Tous les proverbes disent non à ce qui plaît. Tous les proverbes, autant que je sais, disent non à l’adorable mouvement de se fier et d’oser. Tous ? Non. La fortune aime les audacieux ; c’est bien une sorte de proverbe. Ainsi est éclairée cette vue de Kant que je rappelais, que des maximes de raison sont naturellement opposées les unes aux autres, et qu’aucune n’est vraie absolument ; mais que toutes sont bonnes à l’occa-

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