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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/176

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MINERVE OU DE LA SAGESSE

sion contre quelque emportement naturel ; par exemple ce dernier proverbe est bon pour ceux qui ont peur de tout, ou, pour parler mieux, dans ces moments, que tous connaissent, où la prudence bouche toutes les avenues. Un proverbe toujours répété est une sorte de manie de l’esprit ; il les faut tous.

Fais ce que dois, advienne que pourra, c’est le plus beau des proverbes ; toutefois la sagesse commune nous rappelle aussi qu’en toute chose il faut considérer la fin, ce qui nous détourne d’une stérile opposition, souvent plus paresseuse qu’honnête. C’est ainsi que les proverbes, en leur variété, nous mettent en garde contre tous les genres de précipitation, qui sont les causes les plus communes de nos erreurs, et bien plus redoutables que la difficulté de connaître, qu’on exagère toujours. Dans le fait, et comme on l’a dit et redit, nous sommes assez clairvoyants quand il s’agit du voisin ; si, au contraire, nous sommes en cause, nous nous trompons aussitôt et comme naturellement sur ce que nous savons d’ailleurs assez. C’est pourquoi chacun veut se croire au-dessus des proverbes, et se trompe en cela. Le proverbe est une sorte de court poème, souvent rimé, toujours rythmé d’une certaine manière, de façon que la mémoire machinale ne le déforme pas aisément. Ainsi il se fait notre importun compagnon. L’agitation même de notre esprit fait surnager le proverbe ; nos folles pensées ne peuvent l’entamer. Le langage commun nomme très bien Pensées ces rochers de paroles qui tiennent bon, par leur structure, contre la fertilité et l’instabilité de nos inventions. Livrés à nous-

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