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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/178

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LI

TROP DE VÉRITÉS

Ceux qui aiment la vérité par-dessus tout, ceux que je vois prêts à souffrir et à mourir pour elle, sont aussi ceux qui vont se coller à l’erreur comme les mouches à la vitre. Descartes disait que l’amour que nous avons pour la vérité est ce qui est cause que nous nous trompons par précipitation. Et, une fois trompés, nous fermons les yeux à ce qui pourrait nous détromper. Et pourtant qui ne voudrait être détrompé ? Mais aussi on appelle confusion, et c’est très bien dit, l’espèce de honte qui nous prend d’avoir jugé trop vite, et cela veut dire que nous ne savons plus où nous en sommes, comme si tout progrès dans la connaissance multipliait nos embarras. C’est que l’on n’est jamais délivré de l’erreur, attendu que l’erreur n’est rien, et que tout est vrai, et que le vrai combat le vrai.

On dit souvent que l’esprit humain est un mauvais instrument, et qui se trompe toujours. Cette vieille thèse des sceptiques m’a toujours paru très faible. Il y a plutôt abondance de vérités ; et, pour mieux dire, tout est vrai. Par réflexion même l’erreur est vraie ; car il y a toujours quelque raison d’un jugement ; et il exprime toujours un état des choses et

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