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LE FAIT PORTE LES PENSÉES

son regard cette idée si simple, se reconnaîtra lui-même dans le fou. J’avoue que ce moment-là n’est pas agréable.

Il n’y a pourtant pas de mal à se reconnaître fou, si l’on comprend comment on a pu en arriver là. Or l’extrême confusion de l’esprit enfant, la précipitation qui en est l’allure ordinaire, et la poussière qui tourbillonne autour de nos sens, tout cela explique assez que ce que nous avons mis en réserve est vraisemblablement faux. La plus grande partie des folles croyances de l’homme lui vient de son enfance ; ce sont les nourrices qui nous ont formés. C’est ainsi armés que nous nous précipitons au-devant de l’Arc-en-Ciel, de l’Éclipse et de la Comète.

L’histoire nous enseigne, mais non pas comme elle voudrait. Car elle recueille les absurdités que l’homme a pu croire, et cela en somme est très consolant. Puisque chaque homme a pour mission de sauver un peu d’esprit, nous jugeons alors que ce grand devoir est à portée de notre main. On devient jugeur par un certain mépris de l’histoire. Et ceux qui disent que l’histoire nous forme l’esprit, je suppose que c’est ainsi qu’ils l’entendent. À nous deux, illusion !

Attentif donc à couper d’avance tous les nerfs de ce raisonnement intrépide, qui multiplie si bien nos malheurs, j’ai pris comme règle de pratique cette maxime dont chacun pourra faire son profit : « Ce que l’on suppose d’après un raisonnement n’est jamais vrai ». Vous devinez ce qui a été dit dans un entretien secret ; vous raisonnez bril-