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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/20

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MINERVE OU DE LA SAGESSE

lamment, et je n’ai rien à dire contre vous que ce petit mot qui plaisait à Montaigne : « Il n’en est rien ». Et ce petit mot semble bien hardi. « Qu’en savez-vous vous-même ? » Mais si. Je sais très bien qu’il est impossible qu’un raisonnement vienne tomber sur une combinaison réelle, et s’y accorde. La variété est si grande dans le monde, et le concours des circonstances dans le moindre événement est si loin de mesure avec nos calculs, que je parie sans hésiter et toujours contre vous, homme passionné ; je suis sûr que la chose n’a pas été et n’est pas comme vous prouvez qu’elle a dû être. Allons-y voir, si nous pouvons ; à chaque fois je gagnerai. Mais attention ! Si je suis moi-même intéressé à la chose, soit par ambition, soit par amour, je raisonnerai alors au lieu de constater ; je raisonnerai et je perdrai à chaque fois. Ce qui n’empêche pas que ma maxime soit bonne encore ici, comme avertissement. Je l’ai éprouvé plus d’une fois, imaginant, par exemple, les causes qui faisaient qu’une lettre attendue n’arrivait pas. Je raisonnais très bien et je me persuadais moi-même. Mais il m’était bon de me dire : « Cela n’est pas vrai. On ne prouve pas l’existence, on la constate ».