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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/199

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L’ÉCOLE DE LA LIBERTÉ

prouver. Au reste n’est-il pas raisonnable que si on refuse de choisir d’être libre, on ne soit point libre. Cette remarque est certes plus près que les thèses, de nos fautes, de nos remords, de nos confessions et résolutions.

Approchons encore un peu plus. C’est un fade discours à faire à l’homme qui est au volant, et qui arrive au tournant, que celui-ci : « Il ne dépend point de toi de tourner selon la route ou de culbuter selon le ravin ». Fade discours, et discours dangereux ; car si l’on y croit seulement une seconde, on lâche tout, et la pesanteur, la masse, la vitesse sont chargées d’exécuter la suite. L’homme n’en revient guère. Et c’est une chose digne de remarque que le doute sur la liberté soit toujours dangereux. Réellement la thèse de la nécessité devient vraie si on y croit. Un ivrogne, un joueur sont perdus si, comme il arrive, ils croient fermement qu’il n’est point en leur pouvoir de se corriger. Retournant cette sorte de raisonnement, je dirai que la première condition d’être libre, c’est de croire qu’on l’est, ou mieux encore de vouloir l’être.

Je sais bien qu’il y a réponse à tout. Mais enfin le fou fait n’importe quoi, effaçant l’idée du bien et du mal ; au lieu que l’honnête homme ne cesse de refuser certaines maximes et certaines actions. C’est même la marque de l’honnête homme qu’il se croit tenu de choisir, et donc capable de choisir ; au lieu que celui qui s’abandonne et suit la pente, et qui ne croit pas pouvoir faire autrement, est méprisé.

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