Aller au contenu

Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/202

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
MINERVE OU DE LA SAGESSE

mais les idées ; non seulement les idées, mais les mœurs. Quelqu’un s’amusait à dire que, sans Jeanne d’Arc, peut-être France et Angleterre n’auraient fait qu’une nation, ce qui nous aurait épargné bien des guerres. Les Soviets ne pouvaient pas s’équiper en un an ; il fallait remuer la terre, barrer des fleuves, fabriquer les moyens de fabriquer, former l’homme. Je regarde maintenant mes trois exemples. Celui de Jeanne d’Arc, je le mets hors jeu ; car il est évident que, sans l’entreprise de Jeanne d’Arc, la suite eût été autre. Mais qu’elle eût été meilleure, ou pire, c’est ce qu’on ne peut savoir. Toute pierre roulant sur la pente en fait rouler d’autres. De même le devenir humain se tasse selon la nécessité ; la faim, l’envie, la peur nous tirent toujours, et cela risque de faire toujours la même histoire, trahison, tyrannie, guerre et choses de ce genre. De même le tassement qui a résulté de la marmite de Papin n’a pas été tout bon. Une concentration des ateliers, une vie ouvrière tout autre, un genre de corruption jusque-là inconnu, et d’un autre côté une nouvelle manière d’exploiter. Aux filatures anglaises, les enfants furent d’abord vendus. Il fallut un effort des législateurs, et un effort des exploités, pour arriver seulement à empêcher les suites funestes d’une brillante invention. Le cinéma tue le théâtre. Le disque tue le concert. On a gagné, on a perdu. Tous ces changements ont deux aspects. Et on ne peut même point dire que ces inventions éclairent l’esprit. Tout dépend de l’usage qu’on en fera. Le cinéma n’instruit pas mieux que l’antique poulie. Et au contraire, si l’on a trop à comprendre, il se peut qu’on

— 198 —