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MINERVE OU DE LA SAGESSE

qu’ils eurent creusé leurs tombes. Maintenant songez à ce qu’on fit des Russes du front de Champagne, qui, après la paix des Soviets, prétendaient ne plus se battre. On finit par les enfermer dans un camp, où on les bombarda. Je ne veux point déclamer là-dessus ; je remarque seulement que, dès que l’on cède sans précaution aux nécessités inférieures, on descend très bas. Et quand les Russes se trouveront à peu près au niveau de nos pacifiques guerriers, ils pourront se demander si c’était bien la peine d’égorger le tsarisme. Le progrès ne consiste donc pas à prendre seulement passage sur le bateau le plus moderne, et à s’y fier. Au contraire, il faut s’en défier autant que de la hache de Clovis, dont le coup s’achève par la pesanteur. Au lieu que la pesanteur ne nous aide jamais à pardonner, jamais à instruire, jamais à respecter. Chaque matin, il faut remonter l’homme, et vaincre la fatalité toute la journée, c’est-à-dire vaincre la peur, la colère, et la cruauté, fille de l’une et de l’autre. Ne rêvons pas d’une civilisation qui se ferait sans nous et se garderait sans nous.

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