Aller au contenu

Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/205

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

LVIII

ÊTRE MAÎTRE DE SES PENSÉES

Il n’est pas facile de chasser de son esprit une déception, une humiliation, une inquiétude, un remords. Ces visiteurs ne sortent que pour rentrer aussitôt ; et vous pouvez remarquer qu’ils ne nous instruisent pas et qu’ils ne nous donnent aucun espoir ; ils répètent toujours la même chose. Leurs discours ressemblent à la mouche bourdonnante qui vient et revient se heurter à la vitre. Peut-être faut-il dire que ce que je pense malgré moi n’avance jamais à rien. L’intelligence dépendrait surtout de la volonté. Mais je n’espère pas éclairer directement cette idée, toujours réfutée depuis le temps où Descartes la proposait.

C’est déjà un grand art que de renvoyer les soucis au lendemain. Car il le faut, et d’urgence. Celui qui se laisse obséder arrive fatigué à l’heure de l’action. Aussi l’on voit souvent que les hommes d’entreprise se reposent aux jeux de hasard. C’est se donner d’instant en instant des affaires auxquelles on ne peut pas ne pas penser, et du reste promptement dénouées. Une mécanique en efface une autre. Et toutefois, dans le jeu, on reste libre de risquer ou non, ce qui fait contraste avec les soucis ordinaires. L’inconvénient de ce stupéfiant, comme des autres,

— 201 —