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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/220

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LXII

LA VIE INTÉRIEURE

Si la vie intérieure ne fait que doubler la vie extérieure à la manière d’un miroir, alors la vie intérieure est très mauvaise. Ainsi l’homme qui couve une vengeance, il ne cesse de se raconter l’affront ; ou bien il imagine une revanche, il y joue son rôle, il triomphe, il pardonne, tout cela en imagination. Le romanesque est un remède à la rumination triste. Ce que je veux remarquer, c’est que cette vie rêveuse est tout à fait extérieure, car tout y est incident. Par exemple, si je me plais à rêver que je deviens riche, c’est que j’imagine des circonstances non liées au travail. Quant au travail même je ne peux pas du tout l’imaginer ; le travail est réel ou n’est rien. C’est pourquoi le rêveur pense selon une nécessité étrangère, comme on le voit dans les contes, qui, par leur essence, éliminent le travail.

Un homme de jugement disait un jour : « L’homme sain est celui qui n’a que des perceptions ; le neurasthénique n’a plus de perceptions ». Cette pensée a du prix ; mais j’y ajouterais, pour l’éclairer, que les perceptions reviennent toujours à la rêverie, pour celui qui ne fait rien. C’est le travail qui tient la perception à distance ; c’est le travail qui fait que le monde est réel. Maine de Biran a bien saisi cette liaison entre

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