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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/228

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MINERVE OU DE LA SAGESSE

Ou bien quand ces redoutables mouvements, comme comprimés par d’invisibles liens, ne sont connus qu’au mouvement des yeux et des sourcils, à la voix étranglée, à la respiration coupée, à des discours précipités et incohérents, que vais-je faire d’eux ?

Le danger extérieur est ce qui m’éclaire le mieux, car la forme et la situation, alors, ne mentent point. Cet homme qui tombe parmi de dangereux débris, je le rassemble sur lui-même ; je le mets en boule, comme il était dans le sein maternel, voulant faire tenir tout son volume sous la plus petite surface. Donc les genoux pliés et la tête vers les genoux, c’est ainsi que je le dispose pour le malheur. Non point tendu et menaçant comme un arc ; au contraire en repos et résignation. Oui, même dans une chute, c’est encore le mieux, si, devenu chose, il se laisse rouler comme une chose. Mais ce n’est rien de consentir si la forme d’abord ne consent. J’ai admiré une fois la ruse naïve d’un soldat, qui, sur le point de se mettre en colère, savait dire : « Je suis tout petit », et faire comme il disait, c’est-à-dire former un petit tas par terre. Et si quelquefois il vous arrive d’avoir peur à quelque tournant de route, quand vous ne tenez pas le volant, observez que toute votre peur vient de ce que vous sautez au volant sans pouvoir, ou plutôt de ce que vous sautez en vous-même, par ce mouvement excité et retenu ; et c’est ce même sursaut, comprimant votre poitrine comme un soufflet, qui vous fait quelquefois pousser un cri. Dans ce cas, et puisque vous ne voulez ni ne pouvez agir, disposez-vous selon la gymnastique, comme un corps qui

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