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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/23

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L’ART DE CONSTATER

les causes naturelles ou que l’action à distance d’une volonté sur les hommes et même sur les choses dépend d’un fluide jusqu’ici trop peu observé. « Tout ce que Dieu fait est naturel » ; Balzac a écrit cette pensée, à la fois théologique et raisonnable, dans son roman d’Ursule Mirouet, qui est plein d’apparences fantastiques.

Il n’y a pas si longtemps que des esprits positifs demandaient, comme un miracle irrécusable, que quelque fakir fît paraître à Bombay le numéro du Times tel qu’il paraissait à Londres et à la même heure ; or, c’est ce que le télégraphe rendrait possible, et de plus d’une manière. Et je ne vois pas qu’on puisse donner comme impossible qu’une jambe d’homme coupée repousse, puisque les pattes repoussent aux écrevisses. Notre critique s’exerce mal quand l’objet manque ; et la première question n’est pas si cela est possible, mais si cela est. Il faut y aller voir premièrement, et il n’y a pas d’autre manière de connaître. Nous raisonnons très mal du possible au réel, voulant dire : « Cela est impossible, donc cela n’est pas » ; et, au contraire, nous raisonnons très bien, disant : « Cela est, donc cela est possible ». Tel est le chemin de la raison.

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