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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/236

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MINERVE OU DE LA SAGESSE

deux ignore ce qui importe, et l’autre le sait. Je cite ce contrat, qui n’est pas un contrat, parce qu’il est de ceux qu’un juge réforme. Mais comment le réforme-t-il, sinon en le comparant à un modèle de contrat, qui est dans son esprit, et dans l’esprit de tous ? Est-ce que l’idée ne sert pas, alors, à mesurer de combien l’événement s’en écarte ? Comme un cercle imparfait n’est tel que par le cercle parfait, ainsi le contrat imparfait n’est tel que par le contrat parfait.

On peut ne rien penser du tout, et taper à tour de bras ; mais alors on est seul, et on ne va pas loin ; si l’on forme seulement une troupe de deux, il faut une sorte de contrat, et la justice revient ; non pas parfaite, mais cherchant sa forme parfaite : « Ce que je fais pour toi, tu le fais pour moi » ; ce n’est pas parfait, car la même action ne se retrouve jamais ; tout change, tout est différent, tout est inégal ; mais qu’est-ce que cela prouve contre le cercle, ou contre la justice ? Les planètes n’ont point faussé le cercle des géomètres. Les voleurs n’ont point faussé la justice. L’innocent condamné, c’est plus absurde encore qu’irritant, c’est irritant parce que c’est absurde ; car l’innocent n’a rien à voir dans l’affaire ; il y est à la place d’un autre ; cette condamnation ne peut être pensée. C’est qu’on la compare à son idée. Ainsi il y a deux ordres. L’idéologue est celui qui n’en voit qu’un ; et l’homme de jugement rassemble les deux ; respect à l’un, attention à l’autre, ensemble dans le regard.

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