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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/240

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LXVIII

INDIGESTION DE PREUVES

On m’a rapporté un discours de fasciste, qui n’est ni sot, ni faible : « Nous sommes trop intelligents ; nous comprenons tout ; toutes les preuves s’enfoncent en nous comme des flèches. Vous autres, gens du Nord, vous ne vous faites point la moindre idée, à ce que je vois, de ce que c’est qu’un esprit ouvert et souple ; vous avez trop froid ; vous êtes prudents et fermés. Nous autres, nous sommes de tous les avis et de tous les partis, par cette aisance mathématicienne, qui reçoit les présuppositions et suit les raisonnements ; jeu d’académicien ou d’avocat. Bon. Mais il y a du vrai partout, et d’habiles raisonneurs dans tous les partis ; l’internationalisme est vrai ; la paix est vraie ; la guerre est vraie ; le socialisme, le communisme, le matérialisme, l’idéalisme, le rationalisme, tout cela est vrai ; la police est vraie et l’anarchie est vraie. Nos penseurs se sont jetés dans tous ces chemins, et nous à leur suite. Quand on pense si aisément, si librement et si vite, cela prouve que l’on n’est point fait pour penser. D’où bon nombre de penseurs avant nous sont revenus à la religion. Mais nous, nous revenons non pas à la vieille religion, qui, hélas, a ses preuves aussi, mais

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