Aller au contenu

Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/249

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

LXXI

PAIX SUR LA TERRE

« Instruis-les, si tu peux ; si tu ne peux les instruire, supporte-les. » Ce mot de Marc-Aurèle est le dernier sur toute chose. J’ai connu, au temps de mes études, un Russe fort doux, qui expliquait qu’il suffirait de tuer douze mille hommes, en les choisissant bien, pour pacifier l’Europe. Ce sont des idées puériles. Les passions inventent des monstres ; et ces folles imaginations font elles-mêmes un monstre d’un moment. Ce Russe redoutable n’était pas méchant, et il savait beaucoup de choses ; mais, il ne regardait point où il fallait, condamnant, comme nous faisons tous, des hommes qu’il ne connaissait point et qu’il n’avait jamais vus. Le genre de colère qui pardonne le moins a pour objet des êtres purement imaginaires. Et comment pardonnerait-on à ces êtres que l’on a composés soi-même, y mettant tout ce que l’on peut inventer de vaniteux, de sot et d’inhumain, sans rien d’autre ? Bel ami, d’où tires-tu ces merveilles ? De toi-même, je le soupçonne. C’est ta colère qui le fait être ; tu n’as pas besoin de poignard pour le tuer.

En chacun est le secret de tous. Le bien et le mal

— 245 —