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Page:Alain - Minerve ou de la Sagesse, 1939.djvu/248

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MINERVE OU DE LA SAGESSE

phie par-dessus tout. Ce que c’est que science, sagesse, courage, cela intéresse le premier venu ; et c’est le thème de toute conversation. Mais tous craignent l’argument. Si vous avez mis un homme dans le cas de ne pouvoir répondre, et de s’empiéger lui-même, comme dit Montaigne, il ne faut pas compter qu’il vous en saura gré. Il aura pour vous à peu près la même considération que le renard pour le piège où il a manqué d’être pris une fois. Convenons que l’homme n’a point tort de se dire en vous quittant : « Il y a sans doute une réponse ; je n’ai pu la trouver ». Car nul ne se convertit pour un argument auquel il n’a pu répondre, s’il ne l’a lui-même trouvé. Or, il en est de même dans toutes les affaires ; et je n’ai point connu d’homme qui ne fût aussi défiant qu’un renard, devant un argument qui lui semble bon. Remarquez que ce pouvoir de douter, même devant l’évidence, c’est tout l’homme. Tous, sans exception, considèrent la force d’esprit comme une sorte de violence. Le vainqueur, en cette guerre des opinions, ne gagne jamais rien.

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